En 1849, nous retrouvons George-Étienne Cartier, marié depuis trois ans et père de deux filles. Il est à un point tournant de sa carrière d'avocat et de politicien. De son cabinet de la rue Saint-Vincent, dans une bâtisse appartenant à son beau-père, le réputé libraire Édouard-Raymond Fabre, il se construit une clientèle de plus en plus large et diversifiée. Issue au départ du cercle familial et des milieux politiques, cette clientèle inclut depuis peu des marchands importants et des institutions financières. Trois ans auparavant, il se mariait avec Hortense Fabre, soeur du futur évêque de Montréal, Mgr Édouard-Charles Fabre, et du journaliste Hector Fabre, cimentant ainsi ses liens avec le clergé et les milieux intellectuels libéraux. Il avait 32 ans et était solidement établi grâce à des investissements importants dans des immeubles situés principalement dans le quartier Bonsecours. Célibataire, il avait habité dans des hôtels et il avait poursuivi cette pratique durant ses deux premières années de mariage, mais en 1848 Cartier déménageait avec sa jeune famille dans sa propre maison, rue Notre-Dame proche de l'ancien square Dalhousie (l'actuel 456 rue Notre-Dame Est). Bien que le droit soit sa principale activité, il s'impliqua de plus en plus dans la politique, surtout à titre d'organisateur des campagnes électorales des candidats réformistes dirigés par LaFontaine. En avril 1848, il faisait le grand saut et était élu député de Verchères à l'Assemblée législative du Canada-Uni.
George-Étienne Cartier naquit à Saint-Antoine-sur-Richelieu en septembre 1814 dans une famille de riches campagnards. Après avoir fait ses études au collège de Montréal, il complétait sa cléricature chez Édouard-Étienne Rodier avant d'être admis au Barreau du Bas-Canada en 1835. Cette même année il lançait son étude avec son frère Damien, alcoolique qui a peu contribué à leur pratique. Cartier s'intéressa rapidement aux luttes qui ont marqué l'histoire de Montréal et du Bas-Canada durant ces années. Le 24 juin 1834 lors du banquet qui soulignait la naissance de la Société Saint-Jean-Baptiste, il entonnait un chant patriotique qu'il avait lui-même composé, O Canada, mon pays, mes amours.
Durant les mois précédant les Rébellions de 1837, Cartier, toujours dans la vingtaine, s'engagea plus à fond dans l'action. Secrétaire du comité central du district de Montréal, qui organisait la lutte patriote, puis secrétaire adjoint du comité permanent, il participa à la fondation des Fils de la liberté en septembre. Craignant d'être arrêté par les autorités, Cartier se réfugia à la maison familiale de Saint-Antoine où, dès la fin du mois d'octobre il se trouva au cœur de la résistance militaire patriote. En novembre, il assista au combat de Saint-Denis, mais il choisit ensuite de se cacher dans une ferme près de Saint-Antoine. En juin 1838, il se retrouvait aux États-Unis en compagnie de LaFontaine et Papineau. Il revenait à Montréal à la fin de la même année après avoir prêté serment d'allégeance aux autorités britanniques.
Pendant les années 1840, il établit les assises de sa fortune personnelle et professionnelle, assises qui deviendront, dans les décennies à venir, le tremplin vers des réussites encore plus importantes en tant qu'avocat et politicien. Ce n'est qu'en 1855 qu'il acceptera d'occuper des postes ministériels, préférant auparavant consacrer ses énergies à ses importants clients tout en conservant son siège de député. À partir de 1852, il sera le porte-parole du Grand Tronc à l'Assemblée législative et un an plus tard il sera nommé avocat du chemin de fer pour le Québec. Mises à part les grandes compagnies, le Séminaire de Saint-Sulpice figurera parmi ses clients. Cartier agira fréquemment au nom des Sulpiciens, notamment concernant l'abolition de la tenure seigneuriale sur l'île de Montréal et leurs rapports difficiles avec l'évêque, Mgr Bourget.
Une fois engagé dans l'administration gouvernementale, il se fera rapidement remarquer par ses talents de politicien et, en 1857, il formera avec John A. Macdonald un gouvernement conservateur connu sous le nom de Macdonald-Cartier puis, de 1858 à 1862, sous le nom de Cartier-Macdonald. Pendant les années 1860, George-Étienne Cartier se consacrera avec énergie à la promotion du projet de fédération et d'expansion du Canada vers l'Ouest. Fort de son influence politique au Québec, il jouera un rôle majeur dans les négociations entourant le projet d'une nouvelle constitution au pays, projet débattu à Charlottetown, Québec et Londres. À la suite de l'adoption de la confédération, Cartier sera le principal lieutenant de Macdonald et sera nommé ministre de la Milice et de la Défense. Au printemps de 1868, il sera élevé au rang de baronnet et pourra dès lors porter le titre de Sir. Cette même année il sera de retour à Londres afin de négocier avec la Compagnie de la Baie d'Hudson l'acquisition des territoires du Nord-Ouest au nom du gouvernement du Canada. En 1872, il présentera le projet de loi établissant le chemin de fer Canadien Pacifique, mais ses liens intimes avec les dirigeants de la nouvelle compagnie, qui auront payé des sommes importantes au parti conservateur, déclenchera le « Scandale du pacifique » et entraînera la défaite du gouvernement Macdonald en 1873.
Quant à la vie personnelle de Cartier, son mariage avec Hortense Fabre, si prometteur aux yeux d'Édouard-Raymond Fabre, ne fut pas heureux. En 1846, Fabre père commentait ainsi le mariage de sa fille :
« Notre fille nous a coûté beaucoup d'argent, nous avons fait de grands sacrifices pour son éducation, mais aussi nous la marions avantageusement, nous connaissons ce jeune homme depuis plus de douze ans, il a toujours été un ami de la maison, elle sera heureuse, nous en sommes sûrs, il est certainement un des premiers partis de Montréal, excellent avocat, il fait de brillantes affaires. »
Hortense n'appréciera pas toujours le caractère noceur de son mari, n'approuvant pas sa vie qu'elle jugera trop dissolue. De plus, des allégeances politiques différentes créeront un profond désaccord entre les Fabre et Cartier. Ce dernier, en devenant chef conservateur, s'insérera dans l'élite politique et économique du pays et prendra ses distances face à sa belle-famille. En 1854, Cartier appuiera Wolfred Nelson contre son beau-père lors des élections à la mairie de Montréal, tandis que son beau-frère Hector Fabre fondera un journal d'opposition en 1867 et deviendra un adversaire implacable des idées défendues par Cartier. Les différends entre le couple s'accroîtront et Cartier visitera peu souvent sa famille. Dans les années 1860, il sera de notoriété publique qu'il a une maîtresse, Luce Cuvillier, et quelques années avant le décès de Cartier, les amants vivront ensemble.
Cartier connaîtra son Waterloo politique en 1872, alors qu'il sera battu par le libéral Louis-Amable Jetté. Réélu dans le comté de Provencher dans la nouvelle province du Manitoba, c'est cependant à Londres qu'il décédera, en mai 1873, de la maladie de Bright. Son corps sera ramené à Montréal par navire en juin et sera exposé solennellement au Palais de Justice. Ses funérailles et son cortège funèbre attireront une foule impressionnante. |