L'histoire des couples s'avère parfois très révélatrice des mœurs d'une société. En 1725, Claude-Michel Bégon de La Cour, officier de la marine de longue carrière habite avec sa femme, Marie-Élisabeth Rocbert et leurs deux enfants dans la maison d'Étienne Rocbert, père de Marie-Élisabeth et garde-magasin du Roi. La résidence se trouve sur le côté sud de la place du Marché (actuellement place Royale). Il semble que ce soit là que, vers 1713, les futurs conjoints se soient rencontrés, Bégon logeant alors chez les Rocbert.
Fils d'une famille noble dont le père était intendant de Rochefort, Bégon est arrivé dans la colonie en 1712 avec son frère, Michel Bégon de La Picardière, nouvel intendant de la colonie. L'année suivante, il était nommé capitaine d'une compagnie de troupes en garnison à Montréal et rencontrait Marie-Élisabeth. L'officier héröique, avec « l'œil droit crevé » et quelques « doigts mutilés », et la jeune femme de dix-sept ans au tempérament vif tombèrent amoureux mais lorsque le couple émit le souhait de se marier, la controverse éclata. L'intendant Bégon tenta tant bien que mal de décourager cette mésalliance entre son frère, fils d'une famille noble et la jeune Rocbert, simple roturière. La situation se complexifiait à cause de la rivalité entre le gouverneur Philippe de Rigaud de Vaudreuil qui devait approuver les mariages de ses officiers et l'intendant. Tout en n'accordant pas son consentement formel aux jeunes gens, Vaudreuil les encourageait secrètement. De son côté, l'intendant Bégon proposait une stratégie au gouverneur qui toucherait davantage ses cordes sensibles : la possibilité pour une nièce ou même une fille de Vaudreuil de se marier avec son frère. Insensible à toutes ces machinations, le couple Bégon-Rocbert se maria « à la gaumine », c'est-à-dire, par simple consentement mutuel donné devant deux témoins. Le 19 décembre 1718, l'union était reconnue officiellement selon les rites de l'église.
On ignore jusqu'à quel point le mariage de Bégon avec Rocbert retarda l'avancement du jeune officier. Il demeurera néanmoins au Canada jusqu'à la fin de ses jours. Le couple quittera Montréal en 1726, lorsque Bégon sera nommé major de Québec. Après une absence de sept ans, ils reviendront à Montréal en 1733, Bégon ayant été promu lieutenant du Roi (second au commandement après le gouverneur de Montréal). À partir de 1737 ils s'établiront dans l'ancienne maison du premier baron de Longueuil, rue Saint-Paul (site du Marché Bonsecours actuel). Puis, en 1743 Bégon sera affecté au poste de gouverneur de Trois-Rivières. Au cours des nombreuses pérégrinations de son mari, Élisabeth sera reconnue comme une « personne des plus accomplies tant par la figure que par l'esprit », selon l'estimation de Louis Franquet.
À la suite du décès de Bégon, en avril 1748 à Trois-Rivières, sa veuve reviendra à Montréal et s'installera dans la maison de la rue Saint-Paul avec une maisonnée composée de son père, sa petite-fille et sa nièce. En deuil et attristée par le départ de son gendre, Michel de Villebois de La Rouvillière, Élisabeth se consolera en écrivant à ce dernier (Villebois, de six ans son cadet avait épousé sa fille en 1737, mais cette dernière est décédée de tuberculose en 1740). Cette correspondance constitue un véritable journal des événements et des nouvelles qui ont touché la vie des élites montréalaises pendant la période située entre le mois de novembre 1748 et le départ d'Élisabeth Rocbert pour La Rochelle, le 14 octobre 1749. Dès mars 1749, elle louera sa maison à l'intendant François Bigot qui en fera son « intendance », sa résidence lors de ses séjours à Montréal et le siège montréalais de son administration.
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