En novembre 1681, Catherine Thierry dit Primot, épouse de Charles Le Moyne, un des plus riches marchands de Montréal, donne naissance à son treizième enfant. Chose remarquable pour l'époque, des quatorze enfants nés de ce couple (le dernier naîtra en 1683), un seul est décédé pendant son enfance. Ainsi Le Moyne et Thierry ont forgé les bases d'une famille nombreuse et célèbre : dix garçons marqueront l'histoire de la Nouvelle en poursuivant des carrières militaires, tandis que les deux filles se marieront à des officiers. En mai de la même année, leur fils aîné, Charles, qui fait son apprentissage militaire en France, s'est marié à Paris avec Claude-Élisabeth Souart, nièce du sulpicien Gabriel Souart, premier curé à Montréal et ancien supérieur de sa communauté. Ainsi des relations déjà très harmonieuses entre Le Moyne et les seigneurs de Montréal seront cimentées par une alliance plus formelle.
La famille habite une maison à deux étages construite partie en pierre, partie en colombage, sur un grand terrain à l'angle nord-ouest des rues Saint-Paul et Saint-Sulpice, en retrait de la rue Saint-Paul. En 1682, Charles Le Moyne, en dépit des efforts du gouverneur Jean-Marie Perrot pour bloquer la livraison de chaux, réussira à doubler la taille de cette maison en construisant vers l'est ce que la famille nommera « le nouveau bâtiment ». Sur le côté ouest, accolée au pignon de la vieille maison, se trouve la résidence de Jacques Le Ber, beau-frère et associé de Charles Le Moyne.
Le Moyne a d'abord immigré en Nouvelle-France en 1641. Après quatre ans au service des Jésuites en Huronnie, il s'établissait à Montréal en 1646. Dans cet avant-poste toujours menacé par les Iroquois, son ardeur au combat lui permit de se distinguer à plusieurs reprises et il obtint le poste de garde-magasin du fort en 1651. Déjà familier avec les langues amérindiennes, il avait ainsi l'occasion de parfaire son apprentissage du commerce. En reconnaissance de ses services, les seigneurs lui accordèrent des terres de choix l'année même de son mariage avec Catherine Thierry : une grande terre à la pointe Saint-Charles et un terrain au centre de la ville embryonnaire tout proche de l'Hôtel-Dieu. Ce dernier emplacement (à l'angle nord-ouest des rues Saint-Paul et Saint-Sulpice) servira d'assises domestiques et commerciales pour lui et Jacques Leber.
Bien qu'il fut actif dans le commerce (voir les informations sur Jacques Le Ber), il consacra aussi une partie de son énergie et de ses ressources au développement de la seigneurie de Longueuil qu'on lui accordait en 1657. Il participa aussi à plusieurs expéditions en pays iroquois soit à titre de commandant de la milice montréalaise, soit à titre d'interprète. Ses loyaux services lui valurent des titres de noblesse en 1668 et un élargissement de la seigneurie de Longueuil. Il décédera à Montréal en février 1685, à 59 ans. Sa veuve prendra la relève de son commerce et s'associera avec le négociant Antoine Pascaud jusqu'à son propre décès en 1690. |