Deux cent trente-huit milles de tramways sillonnent l’île de Montréal et convergent sur la place d’Armes. Les bureaux de direction sont à deux pas de ce point névralgique, sur la rue Craig (actuellement Saint-Antoine). Mais le véritable poste de commande de ce monopole est à quelques rues vers l’ouest, au coin de McGill et Saint-Jacques, dans des locaux situés au-dessus de la Banque des Cantons de l’Est. Dans ces bureaux se trouve la Montreal Public Service Corporation, une société de gestion créée en 1913 par J.W. McConnell et qui, malgré son nom, servait prioritairement les intérêts de McConnell et de ses partenaires.
Le public montréalais est ambivalent face à l’entreprise : il aime et hait les tramways. Au cours de l’année 1915, les 400 000 Montréalaises et Montréalais effectuent 158 576 271 voyages et le tiers de ces voyages exige une correspondance. En moyenne chaque citadin monte à bord d’un tram 517 fois pendant l’année. Les tramways sont, pour la vaste majorité de la population, leur seul moyen de transport. Ils sont lents, bruyants, chauds en été, froids en hiver et la plupart du temps bondés, mais la piètre qualité du service les rend hautement rentables. Les frais d’opération ne représentent que 57% des revenus bruts. Ainsi, seulement pour 1915, les financiers-propriétaires et les financiers-créanciers se partagent 2 397 086$, alors que le revenu annuel moyen d’une famille montréalaise est d’environ 500$. Bien sûr, la Ville reçoit une redevance de 414 000$, mais il ne faut pas oublier qu’elle est responsable du déneigement des routes, y compris de ces 238 milles de tramways.
Les tramways montréalais suivront la même route que partout en Amérique du Nord. Après la Deuxième Guerre mondiale, avec la croissance des banlieues et du parc automobile, le transport en commun deviendra plus coûteux et, en conséquence, moins rentable. La bourgeoisie laissera aux municipalités le soin de gérer ce service. Dans le cas montréalais, le transfert s’effectuera au début des années 1950. Maintenant sur la place d’Armes, là où autrefois des dizaines de milliers de gens prenaient leur tram, on invite les touristes à monter à bord d’une calèche.
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