Il n’y a pas seulement en Flandre qu’on creuse des tranchées : au-dessus d’une succursale bancaire de la rue Saint-Jacques, on commande un autre type d’armée. En effet, en 1915, les mineurs de la mine Rose à Colbalt en Ontario creusent dans le granite 587 pieds de tranchées, 410 pieds de puits et 4 113 pieds de tunnels. On y cherche de l’argent, malgré que le prix de ce métal est à la baisse et atteint 0.465$ l’once. Pourquoi en temps de guerre et avec ces prix, les plus bas depuis longtemps, poursuit-on ce travail si difficile? Parce que malgré tout, c’est rentable. Sur 1 071 694 onces vendues cette année au prix de 589 897$, la compagnie réalise un profit net de 39%. Mais si on avait attendu un redressement, ces profits auraient été nettement plus élevés. Voilà le hic, cette compagnie ne peut attendre : née d’un coup boursier, elle ne peut que suivre la logique du capital.
Incorporée en 1908, au Maine, la Rose Consolidated était créée afin de profiter d’un engouement pour les titres miniers sur la bourse de Toronto. On émettait alors un million et demi d’actions pour une compagnie n’ayant comme seul actif que quatre propriétés minières à Cobalt. Ces mines ayant déjà produit 2,6 millions d’onces d’argent, on fixait le prix de l’action à 5.00$. En septembre 1908, sur le parquet boursier torontois, l’action ouvrait à 6.08$ et atteignait 8.47$ au début du mois d’août 1909. Tout près de 400 000 actions étaient échangées au cours de l’année. Certains empochèrent leurs gains de capitaux, d’autres tentèrent de se sauver lorsqu’il devint clair, à l’automne 1909, que les réserves minières étaient plus limitées que prévu.
Alors commença un déclin lent et irréversible de la cote, auquel était assortie une politique de dividendes très élevés. Entre le revirement des fortunes en 1909 et la fermeture de la bourse à cause de la guerre, une action d’une valeur moyenne de 3.00$ générait 2.78$ en dividendes. Lors de la reprise de l’activité boursière en mars 1915, l’action ne vaut que 0.68$, mais elle procure tout de même à son propriétaire 0.27$ de dividendes au cours de l’année.
Cette même année, dans ses modestes locaux situés au-dessus de la Banque de Toronto à l’angle des rues Saint-Jacques et McGill où le mobilier ne vaut que 1 000$, les membres de la haute direction de la Rose Consolidated Mines investissent le surplus accumulé de près de 1 000 000$ non versé aux actionnaires. Il faut donc poursuivre la production, malgré la guerre et les bas prix, sans quoi les dividendes videront les coffres.
Il n’y aura pas vraiment de suite pour la Rose Consolidated. De tels véhicules de spéculation boursière laissent peu de traces en ville. Pour l’environnement et les familles de mineurs de la région de Cobalt, c’est une toute autre histoire… Mais les McGibbon, Nesbitt et Black jouiront de carrières assez longues sur les bourses canadiennes. Ils légueront des fortunes considérables, assez grandes pour permettre à certains petits-fils de s’intéresser aux journaux…
|